Annoncer un décès : « pas de recette miracle », mais de précieux conseils

Annoncer un décès peut se révéler extrêmement compliqué. Tant nous avons peur de heurter nos proches, notamment s’ils sont encore jeunes, et/ou particulièrement fragiles. Tant exprimer les choses nous confronte nous-mêmes à cette dure réalité. Enfants, adolescents, adultes : comment faire au mieux dans ces phases délicates de la vie, comment faire tout court ? Les précisions de Delphine Letort,  présidente d’Histoires de vie, thérapeute psycho-émotionnel et du deuil, psychogénéalogiste, et créatrice des « Goûters de la vie ».

Sublimatorium Florian Leclerc Comment un enfant perçoit-il la mort ?

Delphine Letort : L’enfant n’a pas de problématique avec la mort. Seul, il ne dramatise pas la situation. C’est la projection de l’adulte qui crée un vécu difficile. Quand il est encore petit, tant que son vocabulaire est limité, il ne va pas comprendre les mots. Mais l’enfant est un pur capteur émotionnel : Il va se caler sur ce que l’on lui renvoie, il va absorber le pathos, tout ce que ressent l’adulte et imaginer que la mort est un drame.

Sublimatorium Florian Leclerc  Quelle clé donner aux parents/adultes pour parler de la mort aux enfants, leur annoncer un décès ?

Delphine Letort : Il n’existe pas de recette miracle, l’approche va être très individuelle. L’important à mon sens en tant qu’adulte est de ne pas projeter son vécu, son propre rapport à la mort, ses peurs de grand, sur l’enfant. C’est ce que font trop souvent les parents, les grands-parents, pour le protéger, cela part évidemment d’une bonne intention. Mais je conseille de partir de ce que l’enfant ressent, de ce qu’il exprime, de ce qu’il sait de la mort, de se mettre à son niveau. De lui poser des questions comme « qu’est-ce que c’est la mort pour toi ? ». ll ne va pas répondre des choses justes, mais ce n’est pas grave. L’important est de l’impliquer dans une forme d’échange, qu’il puisse s’exprimer.  

Sublimatorium Florian Leclerc  Quel peut-être l’impact sur l’enfant si l’adulte ne prend pas en compte ce que ressent l’enfant ?

Delphine Letort : Le risque est que l’enfant calque ses émotions et ses réactions sur celles de l’adulte. Si l’adulte parle à sa place, s’il lui montre des émotions sans faire place aux siennes, il va penser que si papa et maman sont très tristes, pleurent, c’est comme cela qu’il faut faire, quel que soit son âge. Alors il va pleurer, reproduire un comportement qui ne correspond pas forcément à ce qu’il ressent, pour répondre aux attentes de l’adulte, afin de protéger l’adulte. Dans leurs premières années de vie, l’enfant reste très loyal.  

Sublimatorium Florian Leclerc À quel point faut-il alors « parler vrai », même aux plus jeunes d’entre nous ?

Delphine Letort : Ne pas utiliser de détours, utiliser les vrais mots, est une bonne approche. Parler avec le moins de métaphores possible,  en évitant l’image de « monter au ciel » par exemple. Le risque est de projeter des choses fausses dans le mental de l’enfant. Quand il le comprendra, il pourra avoir l’impression que l’adulte ne lui a pas fait confiance dans sa capacité à saisir les choses. A l’inverse, c’est en se mettant dans une posture d’égal à égal que l’enfant va comprendre que l’adulte lui fait confiance, sans même avoir besoin de le lui dire. Cela n’empêche pas de choisir des mots doux bien sûr, adaptés à son âge. Mais à tout âge il est possible d’impliquer l’enfant, de le responsabiliser un peu aussi, de ne pas le laisser sur le côté. Je le vois dans « les goûters de la vie » que je propose aux enfants pour les sensibiliser à la mort : les petits et grands adhèrent très bien aux explications concrètes, pragmatiques. Avant de parler de la mort d’ailleurs, je leur parle de la vie, des cellules du corps humain, de leur composition puis de leur destruction qui touchent les organes, avec des mots simples et des dessins. Ils saisissent très bien les choses. Cette explication très terre à terre est beaucoup plus claire, beaucoup plus juste pour eux. J’introduis ensuite la notion de séparation quand le corps est mort, entre celui qui est décédé et ceux qui restent vivants. C’est là que j’explique pourquoi les gens pleurent, qu’ils souffrent parce qu’ils ne verront plus la personne dont le corps a fini de vivre. Puis j’aborde le sujet de la gestion des émotions.

Sublimatorium Florian Leclerc Quelles spécificités surviennent à la préadolescence  quand il s’agit d’annoncer un décès, de parler de la mort ?

Delphine Letort : La situation de la préadolescence est délicate, car le jeune a un double deuil à effectuer quand il apprend le décès d’un proche. Il est déjà en plein deuil  de son enfance qui se termine et peut le mettre particulièrement à vif sur certains points. Ce peut être compliqué à vivre lorsque la perte d’un proche survient dans cette transition. A la préadolescence, un peu avant même, le jeune a suffisamment de lucidité pour accéder à cette réalité, quand il saisit que la mort est irréversible, ce qui n’est pas le cas chez le petit enfant. 

Sublimatorium Florian Leclerc A l’annonce d’un décès à un préadolescent ou à un adolescent, comment réagir face aux émotions, dans la phase aigüe de la perte, du deuil ?

Delphine Letort : A la préadolescence et à l’adolescence, on ne laisse pas le jeune seul. Même si sa réaction peut parfois être colérique, violente, inattendue et que cela est difficile à vivre pour les parents. Toutes les expressions ont leur place, le moins rassurant étant le mutisme dans lequel un adolescent peut s’enfermer. Car il faut savoir que ce qui ne s’exprime pas s’imprime. Les émotions vont sortir en différé souvent de façon beaucoup plus explosive. Et les choses sont plus difficiles à gérer car à distance, on ne comprend pas forcément l’origine du mal. L’essentiel est donc que le jeune puisse exprimer ce qu’il vit au moment de la perte, dans le déroulé du deuil, auprès de ses parents ou de toute autre adulte référent. Il est important de lui laisser la liberté de vivre les choses comme il les vit. Ce qui n’est pas toujours évident car les parents ressentent parfois un sentiment d’échec si leur enfant ne va pas bien du tout, et/ou s’exprime frontalement à l’annonce du décès et dans les semaines qui suivent. Au maximum, on laissera donc un espace de parole, on verbalisera, on mettra des mots sur des émotions que ce soit après une dispute ou une crise de larmes. Et il importe de respecter les moments nécessaires de solitude. Et l’adulte ne doit pas hésiter à dire que pour lui aussi c’est dur à vivre. 

Sublimatorium Florian Leclerc Chez l’adulte, l’expression des émotions et le parler vrai sont aussi des points importants quand il s’agit d’annoncer, d’accueillir la mort d’un proche ? Pourquoi en avons-nous peur ?

Delphine Letort : Oui et cela reste compliqué. Car dans nos sociétés occidentales, le rapport à la mort est fossé, nous n’avons pas assez conscience de notre finitude. Et quand nous méconnaissons quelque chose, nous en avons peur. Aujourd’hui nous essayons d’éveiller les consciences, d’honorer la vie et de ne pas pointer la mort même si nous sommes dans un contexte de fin de vie. La mort n’enlève rien à la vie, le statut de mort ne fait pas de nous quelqu’un qui n’a jamais existé. Nous avons peur de tomber dans l’oubli en mourant. Et les proches, eux, éprouvent une peur importante de souffrir. La psycho-généalogie nourrit aussi cette peur, approche selon laquelle nous héritons d’un rapport à la mort d’un schéma familial précis, nous héritons des morts passées. En annonçant une mort à quelqu’un, nous avons peur de lui faire du mal, peur de ses réactions. Si l’on doit annoncer la mort d’un fils ou d’une fille à des parents par exemple, nous savons que l’on va avoir une réaction difficile à gérer. Et l’on a peur de ne pas pouvoir gérer l’autre, à ce moment-là. Enfin, cette annonce suscite en nous une vive émotion et nous pouvons en avoir peur. 

Sublimatorium Florian Leclerc Comment réagir alors quand il nous faut faire avec cette peur ? 

Delphine Letort : Tout dépend des situations mais le mieux est d’aller droit au but, de dire les choses factuellement. Ne pas en parler directement, ne pas dire les mots clairs, ne va pas protéger la personne. C’est l’effet inverse qui va se jouer. Dans tous les cas, un mécanisme psychique va protéger la personne. Ce dernier vient se mettre en place en cas de choc et il faut faire confiance à votre proche qui sera capable de réagir. A l’annonce du décès, je conseille de ne pas rentrer dans le détail dans un premier temps. Sous la sidération, l’intellect entend la mauvaise nouvelle. Mais un déni se met en place pour transférer ce qui est insupportable de la zone du conscient à l’inconscient, pour que la personne ne s’effondre pas. La personne sera donc capable d’entendre ce que vous avez à lui dire. Le reste, la douleur, les détails, ne seront intégrés que plus tard, quand le quotidien vient confirmer l’absence.

*Delphine Letort intervient auprès de la direction des ressources humaines en entreprises auprès de collaborateurs et employeurs confrontés au deuil professionnel ou intime. Ses autres domaines d’intervention relèvent de la collaboration avec le réseau Happy End, de conférences, de formations à l’accompagnement au deuil et de la sensibilisation dans les lycées.

Article écrit par Laura Bourgault

Crédit photo: Bricolage/shutterstock.com

Sources

  • Interview de Delphine Letort, présidente d’Histoires de vie, thérapeute psycho-émotionnel et du deuil, psychogénéalogiste, créatrice des goûters de la vie, le 10 août 2023