Repos digital : la mort numérique en un clic 

Suite au décès d’un proche, nous sommes systématiquement exposés (à quelque exception près) aux traces de sa vie passée sur internet. Aucune loi n’impose en effet d’effacer les données en ligne d’une personne disparue. Si vous souhaitez voir disparaître toute trace de vie numérique, mais que vous n’avez pas envie de le faire vous-même, vous pouvez déléguer ce service. Le point avec Kilian Weydert, co-fondateur et CEO de Repos Digital, entreprise spécialisée dans la suppression de la vie numérique des défunts. 

Supprimer tous les profils internet de votre proche décédé, faire table rase de tout message ou photo posté sur les murs des réseaux sociaux, fermer chacun des comptes ouverts pour écouter de la musique, regarder des films ou effectuer des commandes en ligne : en bref supprimer l’intégralité de la vie numérique d’un proche qui lui, n’est plus en vie. Nous sommes nombreux à ne pas avoir envie d’effectuer cette démarche. Et on le comprend : cliquer des dizaines de fois sur les boutons “supprimer” ou “désabonner” peut peser lourd dans le quotidien des personnes endeuillées qui ont plutôt besoin d’air, de repos. Sur le plan de la charge émotionnelle, vider une penderie, parfois même une maison, est déjà bien suffisant. Et sur le plan technique, ce process peut s’avérer complexe pour quiconque n’a ni le temps ni tous les repères sur la toile.

Donner l’adresse mail et le numéro de téléphone du défunt

En réponse à ces demandes de mort numérique devenues très fréquentes, l’entreprise Repos Digital a été créée en avril 2022. Un service entièrement tourné vers la mort numérique. 

Comment ça marche ? “En moyenne, les gens nous contactent plusieurs semaines après la cérémonie”, une fois que la phase aiguë de l’annonce du décès, du concret des funérailles et des démarches administratives est globalement passée. Quand la vie reprend son cours et que l’on se pose franchement la question de mettre de côté ce qui rappelle l’activité même virtuelle de la personne disparue.  Ensuite, “à partir de l’adresse mail et du numéro de téléphone du défunt, nous pouvons remonter dans tout l’historique d’abonnements* sur internet et procéder à un effacement complet”, décrit Kilian Weydert, CEO et co-fondateur de Repos Digital. “ Notre algorithme a été conçu pour ne rien laisser passer entre les mailles du filet. Après un scan complet de 10 secondes, tous les sites s’affichent. Il peut ensuite se passer un certain nombre de jours entre la demande de fermeture de certains comptes et leur suppression effective.” 

Certaines personnes voient dans la mort numérique une contribution à la protection de l’environnement : l’empreinte numérique et donc la consommation d’énergie s’en trouve allégée. 

L’humain au cœur de la protection des données privées 

“Sur les 30 à 50 familles** que nous accompagnons par mois en moyenne, nous avons beaucoup d’échanges avec les proches pour discuter des volontés du défunt sur cette question qui n’est pas toujours connue. Il arrive aussi que le/la conjoint(e), les parent(s), les enfants ne soient pas toujours d’accord entre eux sur le fait d’effacer ou non la vie numérique de leur proche. Nous prenons aussi le temps de leur donner toutes les informations nécessaires avant qu’il fassent leur choix ”. Et “nous expliquons aux personnes endeuillées qu’elles peuvent conserver une page commémorative sur Facebook par exemple, mais que l’accès au compte reste bloqué et qu’il ne sera donc plus possible de publier le moindre message. Notre cœur de métier étant d’assurer la protection des données privées de la personne décédée***.” Un point extrêmement important étant donné le risque d’utilisation d’un compte sous un autre nom que le sien. “Il arrive par exemple que dans un couple de personnes âgées pas forcément habitués aux réseaux sociaux, lorsque l’un décède, l’autre continue par simplicité d’utiliser le compte de son conjoint, et donc d’envoyer des messages au nom du défunt”, témoigne Kilian Weydert. Ce qui peut être nettement inconfortable pour l’entourage. 

Il est aujourd’hui possible de faire part de vos volontés de votre vivant concernant votre vie numérique après votre décès. Et dans l’idéal de les écrire dans vos directives anticipées. Cette démarche peut aussi rendre les choses plus faciles pour vos proches en cas de décès, pour éviter par exemple de très mauvaises surprises. Exemple ? “Un piratage de compte sur les réseaux sociaux d’une personne décédée dont les amis ou la famille peuvent recevoir un faux message plusieurs années après la disparition de leur proche. Un fait réel qui a d’ailleurs inspiré la création de Repos Digital. 

Et après ?

“L’aspect moral et éthique est très important dans notre métier”, atteste  Kilian Weydert. En rentrant dans la vie numérique et intime des gens, “nous faisons face à des situations parfois délicates. A terme nous aimerions créer un comité éthique composé de thérapeutes, de spécialistes du deuil, de notaires, d’avocats pour aborder ce sujet au cas par cas”. 

“Un décès survenant toutes les 4 minutes concerne un utilisateur Facebook (300 par jour et 8 000 dans le monde)”, Selon Kilian Weydert. Une proportion importante. Reste qu’en France, “aucune loi n’impose la suppression des données personnelles après le décès d’une personne”. 

*Si la nature de certains abonnements peuvent affecter les proches, l’entreprise Repos Digital se réserve le droit de ne pas livrer le nom de l’intégralité des comptes supprimés

**le forfait pour bénéficier de la prestation de l’entreprise Repos Digital de 30 euros est prépayé dans le contrat qui vous lie avec les pompes funèbres, votre assureur ou votre notaire. Pour les particuliers, le service de Repos Digital revient à 149,00 € par prestation

***”En l’absence de cadre juridique précis sur la question de la mort numérique, les pouvoirs publics traitent le sujet sous l’angle du droit au respect de la vie privée des héritiers en raison du caractère personnel attaché au droit à l’image”, Avocat Droit Session

Article écrit par Laura Bourgault

Crédit photo: Antlii/shutterstock.com

Sources

  • Interview de Kilian Weydert, CEO et co-fondateur de Repos Digital, le 10 octobre 2023