Expérience de mort imminente : que fait le cerveau ?

Voir la lumière au bout du tunnel, avoir la sensation de sortir de son corps, décrire ce qui s’est passé au bloc opératoire lors de sa propre réanimation  : mais que sait-on aujourd’hui des expériences de mort imminente (EMI) reconnue par la science depuis 1975 ? Précisions.

L’expérience de mort imminente (EMI) est décrite par des personnes frôlant la mort, mais qui reviendrait finalement à elle dans un contexte de réanimation par exemple. On estime qu’en France, 5 à 10% des patients ayant survécu à un arrêt cardiaque rapporteraient cette sensation de se sentir entre deux mondes. De voir une lumière nette et blanche au bout du tunnel, d’entendre des voix les accueillir vers un ailleurs, de reconnaître des proches décédés, d’avoir le choix d’aller de se diriger vers cette lumière, vers ces proches. Ou de faire demi-tour. Et d’être capable, une fois réveillé(e), de décrire minutieusement cette scène, voire même la salle du bloc opératoire dans lequel la réanimation a pu avoir lieu. 

Dans la culture indienne et thaïlandaise notamment, ce phénomène s’explique par la présence de Yama, seigneur de la mort, chargé de venir nous chercher quand notre heure est venue, de rebrousser chemin si jamais il s’était trompé de moment. Comme une erreur dans le scénario d’une maladie ou d’un incident qui aurait bien failli vous emporter. 

Mais comment le cerveau est-il capable de se mettre dans de tels états ? Que dit la science occidentale sur ce phénomène qui n’est plus systématiquement associé au mystique depuis 50 ans seulement ? Il a en effet fallu attendre 1970 pour que le psychiatre américain Raymond Moody nomme l’expérience de mort imminente, après que des patients lui aient objectivement décrit des scènes très claires après être revenus d’un coma.

Pour objectiver le phénomène de l’EMI, le psychiatre américain Bruce Greyson a mis au point une échelle de 16 critères, en 1983. Si le patient coche 7 critères, l’EMI est confirmée.

Une activité électrique signe d’une hallucination

Pour comprendre, reprenons les bases de ce qui se passe dans nos cerveaux lorsque l’on meurt. Dans un premier temps, le cœur s’arrête de battre ne serait-ce que quelques secondes. L’afflux d’oxygène censé arrivé vers le cerveau pour assurer le maintien de l’activité cérébrale cesse. L’arrêt de cette irrigation provoque une perte de conscience. L’activité électrique du cerveau s’en trouve atténuée puis définitivement stoppée. 

Chez les patients rapportant une EMI, « après que le cœur se soit arrêté de battre ou que le cœur ait été privé d’oxygène, on voit apparaître dans cette activité électrique des bouffées d’activités rapides et qui sont celles, normalement, que l’on trouve chez les personnes conscientes, c’est-à-dire vous, moi et les personnes qui sont en train de nous écouter”, confiait le Pr Stéphane Charpier, directeur de recherche à l’Institut du Cerveau, sur les ondes de France Culture, à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire de Blois organisés du 6 au 8 octobre 2023. “C’est une sorte de marqueur bioélectrique de la possibilité d’une activité (…) cérébrale de type éveil conscient, alors que le patient est manifestement inconscient puisqu’il est soit en arrêt cardiaque, soit en train d’être réanimé.” Comme si le cerveau restait malgré tout en activité même minime, comme la conscience ne s’éteignait pas tout à fait. 

Le ressenti de mort imminente surviendrait en fait au moment où la personne revient à elle, et non véritablement lorsque l’activité du cœur et du cerveau serait prête à cesser à tout jamais. En somme, ces expériences surviendraient “au moment du retour”, caractérisé par ”une période de récupération plus lente des activités cérébrales”. Et une activité du cerveau un peu anormale “plus proches de ce que le cerveau produit dans le cadre d’hallucinations. »

Réagir aux bruits, se rappeler d’objets cachés ?

Dans une récente étude publiée en juillet 2023 sur le site Ressuscitation Journal, l’équipe du Pr Samuel Parnia (Université Comell située à New York) a prouvé qu’après une EMI, les patients percevraient finalement peu de stimulations sensorielles (bruit, toucher…). Comment ont-il procédé pour le prouver ? En observant l’activité électrique de cerveaux de patients dans le coma, entre la vie et la mort, tout en les exposant à des sons et à de la lumière. 

Bilan : “un nombre assez important de patients, environ 9% dans l’étude, relate des expériences de type EMI”, commente le Pr Charpier. Dans cette même étude, après sa réanimation, un homme confirmait avoir entendu 2 bips, réellement survenus en salle d’opération à 3 minutes d’intervalle. Preuve selon le chercheur que la conscience, ou du moins une partie reste active alors même que le cerveau est en état de mort clinique. Une partie de la conscience pourrait donc continuer de fonctionner grâce à une toute petite activité cérébrale, indépendamment du corps inanimé

Petit bémol : “pour ce qui est de la capacité de ces personnes à se souvenir des stimulations sensorielles, là, par contre, c’est plutôt un échec. » Au cours d’une étude plus ancienne (2014), mais relativement proche dans sa méthodologie, le même Dr Parnia avait pris soin de répartir différents objets dans la salle d’opération pour voir si les personnes en réanimation étaient capables de les décrire, dans la mesure où bien sûr elles revenaient à elles. Mais au réveil, celles et ceux qui avaient expérimenté une EMI n’avaient pu localiser les dits-objets. Selon ce travail, lorsque le cerveau ne reçoit plus d’oxygène par la voie sanguine, il ne semble pas capable d’intégrer les informations environnantes et la mémoire au réveil n’en porte donc aucune trace.

Et l’hypnose ?

Dans un autre travail un peu plus ancien, des scientifiques du Coma Science Group (CSG) du Giga Research au CHU de Liège (Belgique), dirigé par le professeur Steven Laureys, ont investigué la piste de l’hypnose. Concrètement ? Plonger une femme ayant vécu une EMI sous hypnose et observer ce qui se passe dans son cerveau grâce à la pose de 256 électrodes et un enregistrement par électroencéphalogramme (EEG). Pendant la séance, la patiente est partie dans un état d’hypnose, comme déconnectée de la pièce dans laquelle l’expérimentation était menée, sentant son cerveau guidé par la voix enveloppante de la thérapeute. En revenant à elle, la volontaire a décrit des sensations, certes moins intenses, mais similaires dans leur nature, à celles éprouvées pendant l’EMI. Sous hypnose, les zones cérébrales actives observées chez la patiente étaient associées au vécu des expériences mystiques, à la décorporation (vécu de sortie de corps) et des émotions positives. Preuve d’une activité cérébrale commune entre l’EMI et l’hypnose.

La neurobiologie et la neuropsychologie ont encore leur mot à dire

La science avance mais des questions restent en suspens. La kétamine injectée pour endormir le patient dans les anesthésies dites dissociatives aurait-elle sa part de responsabilité ? A quel point le mécanisme de la syncope peut-elle générer à elle seule cette sensation de se voir mourir ? Les états de conscience modifiée (endormissement, réveil, orgasme, méditation, migraines…) pourraient-ils, comme l’hypnose semble le faire, générer des états proches de l’EMI ? Que devient vraiment la conscience lorsque le cœur s’arrête et que le cerveau n’est plus irrigué en sang et donc en oxygène ? Faut-il voir dans l’expérience de mort imminente une preuve irréfutable de la séparation du corps et de l’esprit ? Affaire scientifique, à suivre…

📖 Pour aller plus loin, vous pouvez lire :

  • “La science de la résurrection” de Stéphane Charpier – Edition Flammarion – 368 pages – Paru le 23/09/2020
  • “Que se passe-t-il lorsque nous mourrons?” de Samuel Parnia – Edition Decitre – 262 pages – Paru le 05/05/2099

Article écrit par Laura Bourgault

Crédit photo: fran_kie/shutterstock.com

Sources