Vivre son deuil : un cheminement en plusieurs étapes

En perdant quelqu’un, différentes émotions se suivent et ne se ressemblent pas. Elles peuvent mettre à terre, laisser sans voix, laisser beaucoup de tristesse et de colère s’exprimer. Parfois sidérantes, ressourçantes, ambivalentes, ces émotions ont le don de ne pas prévenir quand elles débarquent. Mais elles nourrissent toutes les phases du deuil, aussi personnel soit-il.

L’expression “faire son deuil n’est pas si juste”, selon Delphine Letort, présidente d’Histoires de vie, thérapeute psycho-émotionnel et du deuil, psychogénéalogiste, et créatrice des « Goûters de la vie ». “Elle est consacrée aux différentes phases et émotions éprouvées après la perte d’un proche. Mais je ne sais pas vraiment ce qu’elle veut vraiment dire, et cela sous-entend qu’il y a une fin au deuil”, alors que l’on a finalement jamais fini de perdre quelqu’un. 

“Je préfère l’expression ‘vivre son deuil’”, souligne Delphine Letort, “car elle se réfère plus justement au vécu, aux ressentis singuliers qui suivent le décès d’un être cher.” 

🤔 Cela veut-il dire que nous vivons toutes et tous le deuil de différentes manières ? Et qu’il y aurait donc autant de personnes endeuillées que de façon de traverser ce tourbillon entre le vide, entre le manque et les émotions ? “Non pas réellement. Chaque deuil va certes être différent, il est propre à chacun et on ne peut pas le juger. Mais il existe trois étapes qui font consensus, deux qui sont plus discutées ou qui ne sont pas nommées de la même façon”, complète Delphine Letort. Quelles sont-elles alors ?

Choc, déni, colère…

La psychiatre d’origine suisse Elisabeth Kübler Ross (1924-2002) a été l’une des premières à s’être penchée sur la définition du deuil. Exerçant la médecine en soins palliatifs, elle a observé ce processus et l’a accolé à la fin de vie. “Le fait d’associer le deuil à la fin de vie permet de vraiment faire le lien entre les vivants, ceux qui restent, et celui qui part, ou qui est en train de partir”, atteste Delphine Letort. Selon Elisabeth Kübler Ross, le deuil comprend donc cinq étapes :

  • 💥 Le choc suite à l’annonce. C’est la phase la moins longue. “Elle engendre un état de sidération même si la mort est attendue”, même si la maladie a été longue, ou qu’une phase de coma prolongé a précédé le décès. “Avant le décès, tant que le corps fonctionne, il y a toujours cette illusion que la vie va continuer. Quand elle est là, la mort reste un effondrement brutal et irréversible”
  • 🙈 Le déni “qui s’initie pendant que l’on organise les obsèques. Un mécanisme psychique se met en place pour effectuer toutes les démarches ”. Comme un rempart, une protection pour rester debout. Puis “l’inhumation ou la crémation vient clôturer soudainement cette mise en action. A ce moment, tout lâche. On peut considérer que le deuil commence après les obsèques. L’entourage se fait alors moins présent, ou différemment, et le sentiment de solitude arrive”
  • 😡 La colère, “une étape qui peut ressembler à une sorte de négociation, de marchandage avec le réel. Cette émotion parfois associée à de l’impuissance peut aussi survenir et être très vive chez les proches d’un patient dont la mort est annoncée mais pas encore arrivée”, décrit Delphine Letort. Ceux qui restent peuvent même aller jusqu’à dire “j’aurai préféré que ce soit moi”. C’est aussi pendant cette phase de colère que “certains sont dans la critique par rapport aux soins” : l’intention qui est ou a été portée à leur proche, les mots qui sont ou ont été utilisés par l’équipe médicale pour annoncer des choses difficiles à entendre… “Ressentir et exprimer de la colère, c’est quelque part une façon de rester dans l’action, de garder un peu de contrôle sur la maladie et la mort, alors que le deuil impose quand même de subir les choses.”
  • 😞 La tristesse. “Être triste ne veut pas dire être en dépression”, relève Delphine Letort. Cette émotion, aussi profonde et impactante soit-elle, “est à dissocier du deuil pathologique. La tristesse est complètement normale. “Vouloir lutter contre en se faisant prescrire des antidépresseurs ne se justifie pas. Si elle devient envahissante, la tristesse peut en revanche motiver un suivi thérapeutique” chez un psychologue et/ou un spécialiste du deuil. Ne serait-ce que pour décharger vos émotions auprès d’une personne neutre capable de vous aider à vous sentir mieux, à avancer. Et si un état dépressif devait se déclarer, vous serez ainsi entre de bonnes mains pour vous faire accompagner.  A ce sujet, il existe le questionnaire de Beck permettant de certifier la dépression et d’évaluer son niveau 
  • 🤝 L’acceptation, dernière phase pendant laquelle on commence à être plus en paix avec la perte et le manque de l’autre

Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute spécialisé sur la fin de vie et le deuil, a lui une lecture un peu différente du processus de deuil. Au lieu de parler de tristesse comme l’a fait Elisabeth Kübler Ross, il emploie le terme de déstructuration, “en référence à tout ce que l’on perd de la personne quand elle décède, qui faisait partie de notre identité”.

Que l’on parle de tristesse ou de déstructuration, “il s’agit d’une étape du deuil à traverser pour ne pas différer son deuil”, prévient Delphine Letort. Accepter d’être déstructuré est en effet une étape pour commencer à se restructurer, à accepter, à se projeter vers l’avenir. Pour éviter de passer à côté d’émotions au présent qui pourraient resurgir plus tard, “parfois des années après le décès, il vaut donc mieux accepter les ressentis et en faire quelque chose.” 

Le temps, un allié pour vivre un deuil parfois libérateur

Bien que la tristesse soit une composante normale quand nous perdons un proche, les deuils pathologiques existent. “Ces deuils ne conduisent pas forcément à la dépression. Quand les émotions ne passent pas on parle généralement de deuils bloqués, même s’il n’existe pas de règle précise de temporalité dans le deuil.” 

“La seule règle qui existe si l’on veut, et qui n’en est pas vraiment une, est que les phases les plus aiguës durent pendant la première année suivant le décès”, souligne Delphine Letort. 10 à 12 mois, le temps qu’il faut en moyenne pour vivre les premières fois sans la personne disparue.“ Un temps pendant lequel la personne “va avancer dans le deuil qui est certes un chemin de solitude. Mais qui permet aussi de se connecter à soi, de ne pas céder à la pression de l’entourage sur le fait de devoir aller mieux. Il est possible de voir dans le vécu du deuil autre chose que du négatif”. Et “de se faire accompagner par un professionnel même si le deuil semble résolu, pour aider à se trouver. Aussi complexe soit-il, le deuil est parfois libérateur”.

“Il n’est jamais trop tard”

Certaines émotions peuvent rester très présentes pendant longtemps, aller et venir. D’autres vont passer leur chemin beaucoup plus rapidement qu’imaginé. Mais que faire si l’on a la sensation de stagner dans sa tristesse ? “Il faut savoir qu’il n’est jamais trop tard pour rattraper un deuil différé.” Même si le temps passé dans des émotions compliquées peut marquer. “L’idée est de se faire accompagner pour aller chercher ensemble les capacités de résilience, de ne pas se sentir obligé de montrer que ça va mieux si ce n’est pas le cas.” 

“Pour être acteur de son propre deuil, je pense qu’il faut accepter que les différentes phases du deuil puissent prendre un certain temps.” Ne pas précipiter le déroulé normal des émotions. Et garder en tête “la notion des 4P que je présente à toutes les personnes que j’accompagne : 👣 le plus petit pas possible”, complète Delphine Letort.

Article écrit par Laura Bourgault

Crédit photo/shutterstock.com

Sources

  • Interview de Delphine Letort, présidente d’Histoires de vie, thérapeute psycho-émotionnel et du deuil, psychogénéalogiste, et créatrice des « Goûters de la vie », le 7 décembre 2023