Avatar, IA, immortalité : quand l’innovation s’empare de la mort

Sciences de l’immortalité, avatars, IA, hologrammes : à quel point l’innovation tente-t-elle progressivement de faire reculer le naturel que la mort porte en elle ? Quelle place occupe la technique dans le monde du funéraire ? Pistes de réflexion.

Depuis la nuit des temps, l’Homme/humain évolue “au grès des découvertes scientifiques et de la technique pour assurer son développement. Après l’ère industrielle, nous sommes entrés dans l’avènement du digital, de la technologie”, décrit le sociologue Gil Labescat, chercheur et spécialiste de l’innovation à l’Université de Montréal (Québec), et auteur d’une thèse intitulée “La ritualisation dans la trajectoire du mourir : l’action rituelle funéraire ”.

Rien d’étonnant donc à ce que la façon dont on meurt et dont on disparaît suive ce virage de l’innovation. “A l’époque, les nouveautés si l’on peut dire relevaient par exemple de la pratique de la crémation”, adoptée en France par la loi du 29 octobre 1887 mais officiellement admise dans la pratique par un décret voté des années plus tard, le 5 juillet 1963. La question qui se posait était déjà celle du devenir du corps du défunt, dans le prisme matériel et/ou spirituel en fonction des sensibilités, notamment spirituelles ou religieuses. 

Aujourd’hui, en 2023, toutes les technologies récentes, ou en passe d’être développées, répondent à cette même préoccupation quasiment existentielle, finalement. Que faire de la mort ? Quel devenir souhaitons-nous pour nos corps, nos âmes, une fois décédés ? Quelle prise avons-nous pour retarder la mort ? “Toutes ces questions futuristes il y a encore peu de temps sont aujourd’hui très actuelles. Des chercheurs, des entreprises sont pleinement investis dans ces sujets”, témoigne le sociologue Gil Labescat. Des exemples ? 

Le vieillissement, un processus réversible…

Selon le futurologue américain Raymond Kurzweil, ancien ingénieur Google, chercheur et auteur de l’ouvrage “Humanité 2.0 – La bible du changement”, l’intelligence artificielle et les progrès de la médecine pourraient provoquer un point de bascule en 2045. D’ici 20 petites années donc, l’espèce humaine pourrait espérer frôler l’immortalité, la science étant capable de guérir de nombreuses maladies aujourd’hui incurables, ou de ralentir  le processus biologique de vieillissement.

Dans le même temps,  le chercheur suisse Anthony Davison*, plus modéré sur le sujet, estime que l’espérance de vie d’un être humain ne pourra pas dépasser 130 ans, dans une étude publiée dans la revue The Royal Society Publishing.

Mais alors, comment notre futurologue Raymond Kurzweil peut-il être aussi sûr de lui ? Peut-être en se fiant à des projets aussi surprenants que concrets, comme le recours à des nanorobots implantés dans nos organismes et capables de réparer la moindre dysfonction cellulaire pour nous rendre immortels. 

Autres innovations en cours de développement : la possibilité, au sein de la fondation américaine S.E.N.S, de greffer des organes artificiels conçus à partir de culture in vitro de cellules souches pour prolonger la vie. Ou encore le blocage de certains gènes du vieillissement pour ralentir ce processus et augmenter l’espérance de vie de 15%. Un potentiel déjà mis en lumière en 2015 par des chercheurs de l’Université Brown (Rhode Island, États-Unis). Enfin, la technique des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 consistant à couper-coller des séquences de gènes donne aussi l’espoir de la longévité.

Reste que l’immortalité peut aussi changer la perception que nous avons de la vie comme nous la considérons depuis toujours. Le fait qu’il n’y ait pas de fin peut faire rêver, mais pourrait aussi, si cette immortalité advenait, largement perturber notre rapport au présent voire à l’urgence de profiter du présent, ou encore de passer à l’action sans tout remettre à demain. Que deviendraient nos envies, nos curiosités si elles devaient s’exprimer dans un monde sans fin ? 

Un boîte noire de nos consciences

La seule immortalité qui soit aujourd’hui est celle de notre vie numérique. Sans effacement complet de nos données (adresses mails, profils sur les réseaux sociaux, abonnements…), nous sommes amenés à survivre à l’infini dans ce monde virtuel, celui d’internet. 

Une autre façon de ne pas mourir comme les autres, si l’on veut, est de vivre aux Etats-Unis, là où la cryogénisation est autorisée depuis 2005, contrairement à la France où cette pratique n’est pas proposée en cas de décès. L’objectif : conserver le corps dans de l’azote liquide à une température glaciale de -196°C, dans un objectif encore très utopique d’être un jour ressuscité(e). Aux Etats-Unis, la cryogénisation du corps mais aussi du cerveau est possible.

Pouvoir disposer un jour d’une boîte noire de notre conscience, de nos souvenirs, donne en effet du grain à moudre. Cette idée dystopique est d’ailleurs décrite dans le livre Humanité 2.0 écrit du futurologue Raymond Kurzweil. Et le concept déjà traduit sur le marché par l’entreprise américaine Nectome qui se fixe depuis 2016 le défi de conserver nos cerveaux afin d’en sauvegarder le contenu, et de le télécharger ensuite dans un avatar. Par quel procédé ? En appliquant une technique particulière sur le cerveau d’une personne décédée, la vitrifixation à la croisée entre la cryogénisation et l’embaumement, permettant de laisser le cerveau intact malgré la mort constatée. Mais avons-nous vraiment envie que nos cerveaux nous survivent ? A quels points nos neurones peuvent-ils redevenir suffisamment actifs pour pouvoir parler de conserver la mémoire ?

Autour de la mort, du deuil et de la cérémonie

Malgré cette tentative/tentation pour certains de l’immortalité, nous sommes toutes et tous amenés à mourir, et avant cela à vivre des deuils, des séparations physiques et sentimentales, assister à des cérémonies. 

L’innovation a aussi son mot à dire dans ce domaine, avec l’idée de développer des hologrammes pendant les cérémonies pour incarner le défunt. Ou encore des avatars programmés de notre vivant en enregistrant notre voix et des informations personnelles, pour être capables de converser (pour de faux) avec ceux qui restent, une fois le décès survenu. Une méthode basée sur le deep learning

“Là aussi, j’y vois le prolongement de ce que peut faire la technique pour accompagner l’être humain dans sa propre évolution, en l’occurrence sur la question très profonde de la séparation entre le corps et l’esprit si les personnes devaient un jour vivre avec le double numérique de leurs proches décédés”, poursuit Gil Labescat. Une option que la technologie tente de rendre possible. Au point d’être banalisé ? Ou pour le moins souhaité ? “Dans la société de l’image dans laquelle nous vivons, ce rapport à la survie du numérique, visuel, peut ne pas surprendre. Mais lorsque le sujet touche notre façon d’interagir avec les vivants, et les morts, cela pose forcément quelques questions éthiques qui, au-delà du bien ou du mal, sont intéressantes à creuser si l’on souhaite garder la main sur le monde dans lequel nous voulons voir nos enfants grandir”, conclut Gil Labescat. 

Les pouvoirs de la technologie posent aussi la question du vécu du deuil, si elle venait perturber l’acceptation d’une mort absolument irréversible. 

*Institut de Mathématiques, École polytechnique fédérale de Lausanne, Suisse

📖 Pour aller plus loin, vous pouvez :

  • Lire “Paroles de machine”, d’Alexei Grinbaum – Edition Humensciences Edition – 192 pages – Paru le 03/05/2023
  • Lire “Le code de l’immortalité, la découverte qui pourrait prolonger nos vies”, de Milov Radman – Edition Humensciences Edition – 221 pages – Paru le 23/01/2019
  • Ecoutez le podcast de l’émission “L’immortalité : une quête sans fin” diffusée dans l’émission La Grande Table idées, sur les ondes de France Culture le 29/03/2019
  • https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2021-v32-n2-fr06515/

Article écrit par Laura Bourgault

Crédit photo: /shutterstock.com

Sources