Rites funéraires : faire disparaître le mort

Comment un mort devient-il défunt si ce n’est par le rituel ? N’est-ce pas là une réelle question culturelle et anthropologique ? A quel point ces méthodes et symboles évoluent-elles au fil des années ? INCIPIO est curieux et vous répond.

Et si l’on remontait un peu dans le temps des rites ? Au Moyen-Âge, en Europe, “”les morts étaient inhumés sur le dos et ils regardent le ciel, signe d’espérance en la résurrection, tandis que les suicidés sont disposés sur le ventre car cette espérance leur est refusée”, précise le Pr Crubézy. 

Les premières tombes remontent à plus de 90 000 ans et ont été découvertes au Proche-Orient. La crémation, elle, a laissé ses premières traces en Australie il y a plus de 40 000 ans. En Afrique du Sud et en Espagne, des ossements ont été découverts en surface, remontant de 300 000 à 350 000 ans. Ils datent d’une époque à laquelle “en l’absence d’instruments pour creuser le sol, le dépôt ritualisé des corps en surface ou sur des plateformes aériennes était très fréquent”. 

Voir le mort, le sacraliser 

Depuis la nuit des temps, l’Homme est la seule espèce à adopter des rites funéraires pour que les vivants puissent intégrer la notion de mort. Accompagner cette transition va passer par trois étapes : 

  • Le fait de voir le corps mort, de vivre un moment de recueil collectif et de le préparer pour le départ (costume de mariage, linge blanc cousu dans la religion juive pour que l’esprit du défunt puisse s’en aller…). Cette phase de sacralisation passe également par des procédés très concrets comme l’embaumement du corps “ pour le rendre présentable’ aux vivants, ce qui est parfois paradoxal car cette vision ne permet pas forcément aux vivants de véritablement prendre conscience de ce qui se produit”, souligne Pr Eric Crubézy, spécialiste de l’anthropobiologie à l’Université Paul Sabatier (Toulouse)
  • Faire disparaître le corps, “pratique influencée par des contraintes multiples indissociables du lieu et de la culture, religieuses, sociétales, économiques ou écologiques”, relaie le Pr Cruzéby. Ainsi, en France, “la croissance démographique, jointe à une diminution du sentiment religieux à partir du 18ème siècle, et au développement des règles hygiénistes au 19ème siècle, a poussé les cimetières loin des villes et du pourtour restreint des églises”. Ensuite, “l’autorisation de la crémation par l’Église en 1963 a permis son développement, mais il a fallu attendre des évolutions sociétales et une diminution de son coût pour que celle-ci soit accessible”. La France compte aujourd’hui 214 crématoriums et 50% des Français feraient le choix de cette méthode selon un sondage Ifop*, contre 20% en 1979. “Par ailleurs, la crémation est encouragée  par les pouvoirs public, qui ne désirent pas voir, surtout en ville, la surface dévolue aux cimetières trop augmenter”
  • “La métamorphose” va être la dernière étape, lorsque le corps s’en est allé. Un moment caractérisé par la douleur, du latin dolium. “Faire son deuil, c’est accepter une période de douleur pour transformer le mort en défunt (…). Certaines cultures et religions limitent cette phase et définissent parfois symboliquement lors de cérémonies la fin des deuils.” La résonance du monde des morts dans celui des vivants  peut ainsi être vécue différemment. Dans la communauté gitane par exemple, “garder les affaires d’un mort porte malheur et on ne peut l’évoquer ou citer son nom pendant un an”. Dans la religion catholique, “la messe du bout de l’an, à l’anniversaire du décès, met théoriquement fin au deuil”. 

“Transformer le mort en défunt suppose de recréer un personnage symbolique. Comment réaliser ‘ce qui n’est plus’ et transformer le ‘ce qui n’est plus’ en défunt alors que son cadavre serait toujours présent?”

Créer de nouveaux rapports avec le défunt

Mais à quoi nous renvoie cette notion de défunt ? Le terme défunt “issu du latin vita defunctus signifie ‘qui s’est acquitté de la vie’, une expression suggérant une relation entre les vivants et les morts”, prolonge Pr Eric Crubézy. Par la pensée ou le verbe, le vivant continue à avoir son proche à l’esprit, à en parler. Ce faisant, il crée une histoire, déconstruit les rapports qu’il avait avec lui et en crée d’autres”. Le rite funéraire va permettre d’incarner tout cela.  “Le récit que l’on fait de sa vie, les anecdotes, réelles ou imaginaires, mais qui ne peuvent exprimer la complexité d’une personne, sont [marqués] avec des photos, un nom et des dates sur une pierre tombale”. 

Douleur, funérailles et sentiment religieux

En occident, pendant des siècles, “un décès entraînait un rituel défini par la religion qui organisait des formes incontournables d’inhumation, d’expression de la douleur et d’attachement au mort”. De quelles pratiques parle-t-on précisément ? Principalement de “la nécessité de porter le deuil”, c’est-à-dire d’être démonstratif dans sa tristesse, sa souffrance, de marquer le manque. Mais aussi “d’assister aux enterrements des membres de sa famille” même “très éloignée, et de sa communauté semblait naturelle”. 

Autre rituel, le fait d’offrir des fleurs pour déposer sur la tombe ou le monument, un geste qui existait déjà il y a 60 000 ans. “Au-delà de leur beauté, le caractère éphémère des fleurs évoque la transition. Elles sont devenues aujourd’hui dans le monde occidental l’une des marques du soutien aux familles et le témoignage d’une relation qui a existé”, poursuit le Pr Crubézy.  Et pour certains le symbole d’une offrande dès lors que la disparition du corps est associée à un départ, un voyage.

Ces repères sont toujours présents dans beaucoup de familles et de cercles sociaux. La plupart “des rites funéraires, qui reposent sur des règles, des symboles et des traditions restent systématiques”. Mais certains commencent à évoluer face aux changements de nos sociétés. “Le recul du sentiment religieux, l’intériorisation des affects, plutôt réservés aux intimes, la dispersion des familles et la diminution d’une vie sociale de proximité font que les cérémonies de funérailles accueillent de moins de moins de participants”, décrit le Pr Crubézy.

Au 21ème siècle, l’innovation la plus notoire dans les rites funéraires est le fait que “les rites ne sont plus organisés par les vivants pour leurs morts”. Ils sont organisés par le défunt de son vivant. 48% des Français de plus de 40 ans (Credoc, 2019) ont ainsi noté des souhaits et volontés précises dans leur contrat d’obsèques. ”Ces changements résultent notamment d’un allongement de la vie, qui a conduit à une augmentation du nombre de sujets âgés qui ne veulent pas devenir une charge pour leur famille avant et même après leur mort”.

Pour terminer une citation du philosophe Tacite : « Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur du vivant »

*Étude réalisée par l’IFOP pour Plaquedeces.fr du 5 au 6 septembre 2023 par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 1 013 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population française.

Article écrit par Laura Bourgault

Sources

  • Étude réalisée par l’IFOP pour Plaquedeces.fr du 5 au 6 septembre 2023 par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 1 013 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population française.
  • L’Éléphant. La revue de culture générale. Les rites funéraires. Pr Eric Crubézy, spécialiste de l’anthropobiologie à l’Université Paul Sabatier (Toulouse). N°43 p 150

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