Lorsque les fonds personnels ne suffisent pas à assumer la charge financière des obsèques, certaines mairies interviennent pour venir en aide aux plus précaires. Les personnes en situation d’isolement sont aussi concernées. Quelles sont les modalités en place pour accéder à ce soutien ? Quels frais sont précisément financés ? INCIPIO a posé ces questions à la mairie de Nantes.

Dans chaque ville, commune et village de France, la mairie reste libre de couvrir tout ou partie des frais d’obsèques pour les personnes sans ressource financière et/ou sociale.

Première question, quel est le public concerné par l’aide financière aux obsèques ? “Les personnes qui, sur leur compte bancaire, n’ont pas les moyens de prendre en charge leurs propres obsèques ou celles de leur proche décédé. Mais aussi les personnes isolées ”, répond Agnès Lecomte, responsable secteur des cimetières de la ville de Nantes. Il arrive en effet que des personnes aient les moyens financiers mais n’ont rien anticipé dans l’organisation de leurs obsèques avant de décéder, n’aient rien indiqué dans leur testament, n’aient pas informé leurs proches de leurs dernières volontés. Le défunt peut aussi n’avoir ni famille ni amis, ou aucune personne qui souhaite ou peut prendre en charge l’organisation de leurs obsèques. “La mairie peut alors venir en aide auprès de ces personnes, indépendamment de l’insuffisance des revenus.” 

Pour faire aboutir la démarche auprès de la mairie, la situation doit bien sûr être prouvée. En cas de précarité financière, “les proches ont parfois accès aux relevés bancaires et peuvent fournir ces documents à la mairie. Livret de famille et pièces d’identité sont également demandés”, souligne Agnès Lecomte. Nous nous devons d’être le plus complet possible pour constituer le dossier constitué qui sera présenté au Trésor public, étant donné que la couverture financière d’ordre privé est rendue possible par l’utilisation de deniers publics.”.

Constituer le dossier : entre enquête, collecte et rencontre

Que se passe-t-il si des pièces viennent à manquer pour justifier de la précarité ou de l’isolement du défunt ? “Dans ce cas, la mairie rend un arbitrage pour assurer l’inhumation ou la crémation dans des délais raisonnables, et ce même si l’accès aux comptes bancaires n’est pas possible”, répond Agnès Lecomte.

Pour obtenir le plus de pièces possibles, “nous entrons en contact avec les proches”. Dans l’idéal, le défunt avait une personne de confiance qui peut avoir en sa possession de nombreuses pièces précieuses. En cas de tutelle ou de curatelle, un proche du défunt va pouvoir être impliqué dans l’organisation des obsèques, “même si dans ces situations, tout le monde ne réagit pas de la même façon”, témoigne Agnès Lecomte. Certains vont s’investir sans réfléchir à l’organisation des obsèques, à couvrir leur coût pour leur proche. D’autres avancent au contraire qu’ils sont dans leur bon droit en se désister de ces démarches, témoigne Agnès Lecompte. 

Pour retrouver des pièces manquantes au dossier, il arrive que le personnel de la mairie de Nantes mène aussi un véritable travail d’enquête. Différents moyens peuvent être mobilisés pour retrouver la piste des proches du défunt : “nous nous tournons vers les notaires pour obtenir des documents importants. L’utilisation des données des arbres généalogiques disponibles gratuitement sur internet nous aident parfois à recouper avec les informations que nous avons en notre possession. Ce qui est bien sûr plus simple quand nous avons un nom de famille rare ou atypique plutôt que courant”, souligne Agnès Lecompte. Le site de l’Insee* peut aussi nous être très utile pour retrouver des lieux d’inhumation des parents du défunt et voir s’il existe une concession aux ayants-droits. L’enquête de voisinage peut également s’avérer fructueuse pour faire remonter à la surface des indices sur la vie du défunt. Enfin, nous nous rapprochons régulièrement des bailleurs qui demandent des garanties aux cautionnaires et peuvent donc souvent nous aiguiller vers les proches du défunt.”

“Grâce à toutes les informations, il est parfois possible de reprendre contact avec une nièce, une cousine, une tante pour annoncer le décès et voir si la famille souhaite organiser et prendre en charge les obsèques du défunt. 

“Une chose est sûre, nous avons accès à très peu de fichiers. Nous utilisons donc tous les moyens pour récolter le plus d’informations possibles et compléter au mieux nos dossiers. Nous ne nous refusons rien en termes de démarches légales, affirme Agnès Lecomte. L’objectif dans un premier temps est d’ordre social plus que financier : nous annonçons le décès aux proches, une démarche indispensable pour leur permettre de faire leur deuil, même si la famille était en rupture avec le défunt depuis des années. Il nous arrive d’ailleurs de recevoir certains membres de la famille pour échanger avec eux.” Une composante humaine finalement très centrale dans cet accompagnement par ailleurs financier.

Transport, conservation, creusement 

Tous les frais sont-ils couverts par la mairie ? Une fois le dossier accepté, voici les prestations prises en charge. “Elles correspondent aux dépenses obligatoires dans le cas d’un devis type”, souligne Agnès Lecomte :

  • la publication des avis de décès dans la presse locale 
  • le transport du lieu de décès (avec comme point de départ le domicile, la voie public ou un établissement de santé) jusqu’à la chambre funéraire

Si le défunt est décédé d’une cause naturelle et diagnostiquée comme telle, le transport du corps vers la chambre funéraire sera couvert par la mairie. S’il existe un soupçon de crime, le corps sera acheminé à l’institut médico-légale à la demande de la police, qui prendra en charge le transport. Un procès-verbal est ensuite émis par la police avant que la mairie endosse la responsabilité de l’inhumation ou de la crémation.

  • la conservation du corps dans une cave réfrigérée, l’aide de la mairie ne comprenant pas d’exposition à la chambre funéraire
  • le transport avant et après la mise en bière
  • les frais d’inhumation comprenant un forfait de fournitures et services (cercueils, démarches administratives, insignes de marquage sur la tombe, mise en bière, porteurs, travaux funéraires, ouverture et fermeture du caveau, creusement et rebouchage). En fonction des informations transmises par les proches, la mairie se doit de couvrir les frais de crémation si cette demande entre dans les dernières volontés du défunt. “Si aucune information n’est disponible à ce sujet, nous optons pour l’inhumation afin que sa famille puisse le retrouver si elle devait prendre contact avec la mairie une fois les obsèques passées.”

Aucune cérémonie n’est prévue. Mais à la mairie de Nantes, “nous collaborons avec l’association ‘De l’Ombre et la Lumière’ pour que le/la défunt(e) ne parte pas seul(e) après avoir essayé de retrouver des informations sur la vie du défunt. Et nous sommes parfois surpris(e)s de nous occuper de dossiers de défunts dans des situations d’isolement très importantes à leur mort, mais de voir 50 personnes assister à leurs obsèques, raconte Agnès Lecomte.

Un emplacement au cimetière pendant 5 ans

Quel emplacement est prévu pour l’inhumation ou la crémation des défunts sans ressource ? La mairie s’adapte en fonction des situations. Dans les cas de tutelle/curatelle, il arrive qu’une concession ait été achetée. Si besoin, la mairie peut mettre gratuitement à disposition un terrain commun sur une durée de 5 ans pour enterrer le défunt. Après ce délai, la ville peut reprendre l’emplacement, pratiquer la crémation du corps ou une mise à l’ossuaire si l’état du corps le permet. “Sauf qu’en général, au bout de 5 ans, le corps n’est pas encore en état d’ossement et nous devons donc opter pour la crémation qui engendre plus de coût, relaie Agnès Lecomte. Il n’existe pas de droits acquis. À Nantes nous assurons ces rotations tous les 5 ans pour pouvoir libérer de la place pour d’autres défunts. A chaque changement, nous nous devons d’informer les proches si nous sommes en contact avec eux et leur dire que la reprise du corps est toujours possible”, atteste Agnès Lecomte. Et nous avons également à cœur de trouver le cimetière le plus proche de la famille pour plus de praticité si les proches souhaitent se recueillir”.

Quelques chiffres. En 2022, un total de 56 demandes de prises en charge de personnes isolées et/ou dépendantes sur le plan financier ont été déposées à la mairie de Nantes. 43 ont été acceptées. Et sur les 5 dernières années, 54 dossiers pour 33 acceptations ont pu être enregistrés. ‘La plupart sont des personnes isolées qui ont par ailleurs les moyens de couvrir leurs frais d’obsèques, relève Agnès Lecomte. Dans ce cas, une facture dite titre de recette est adressée à la banque du défunt : ce qui permet à la collectivité d’être remboursée”.

Une charge psychologique prise en compte par la profession

‘En faisant ce métier, nous sommes confrontés à des histoires de vie, parfois belles, parfois traumatisantes, auprès de personnes en grande souffrance, témoigne Agnès Lecomte. Ce peut être le cas quand des parents venant d’apprendre le décès de leur enfant disent qu’ils ne voulaient plus jamais avoir de nouvelles, qu’ils avaient rayé leur fils ou de leur fille de leur vie”. La composante émotionnelle est donc extrêmement importante, avec des gens parfois “tristes, en colère, dans le déni, entre présence et absence pour le défunt. Nous rentrons indéniablement dans l’histoire des gens même si on ne préfèrerait pas”, s’exprime Agnès Lecomte. 

Et annoncer un décès est une démarche aussi complexe que sensible, qui ne laisse pas indemne les personnes qui en sont responsables. “Pour nous accompagner dans notre quotidien, nous recevons des formations sur la psychologie du deuil et nous avons accès à des groupes de parole pour déposer toutes nos émotions, ajoute Agnès Lecomte. Au total, “6 séances nous sont proposées chaque année, en individuel ou en collectif en fonction des problématiques identifiées et des besoins de chacun. Ce soutien peut être déclenché sur simple demande. Et le fait de se faire épauler par la cellule psychologie n’impacte en rien la personne, aucune mise à l’écart pour inaptitude n’est à anticiper”. Bien sûr, “parler de ses émotions n’a rien d’évident, encore moins pour les agents de cimetière qui n’ont pas l’habitude de cela. Certains ne veulent pas dire un mot en groupe de parole, puis se mettent à parler quand ils voient que l’écoute est là, que des choses bougent”. 

Et si personne souhaite partir, notamment du fait de cette charge psychologique, la mobilité est aussi accompagnée par la mairie”. Un soutien indispensable : “comment ne pas prendre en charge la santé mentale des accompagnants si l’on veut qu’ils prennent bien soin des usagers?”, interroge Agnès Lecomte. 

*Institut national de la statistique et des études économiques

Article écrit par Laura Bourgault 

Crédit photo: seb_ra/1160135294/istock

Source

  • – Interview d’Agnès Lecomte, responsable secteur des cimetières de la ville de Nantes, le jeudi 11 juillet 2024